Des « gilets jaunes » aux « grèves du climat », de nouveaux acteurs sont apparus sur la scène politique européenne, apportant avec eux des problématiques jusqu’alors maintes fois évoquées, mais n’ayant jamais reçu de réponses satisfaisantes. Les mobilisations et protestations constituent une étape importante, mais le basculement à opérer vers une phase de propositions s’avère souvent délicat, raison pour laquelle, par démagogie et par facilité, certains pensent pouvoir s’en abstenir. Néanmoins, il est impératif que les organisations citoyennes ne soient pas uniquement des rassemblements de « râleurs », mais de grands générateurs d’idées.
Le réveil de la jeunesse : une nouvelle ère pour le climat ?
Durant plusieurs semaines, tous les vendredis, précédant les manifestations des « gilets jaunes », se tenaient, partout en Europe, des grèves pour le climat à l'initiative des jeunes. Jusqu'à présent les « jeunes », terme vague pour désigner un ensemble d'individus caractérisé par leur âge allant de quinze à trente ans, ne présentaient, pour cette génération, aucune autre spécificité sur le plan politique. Cela fait quatre ans que j'observe les débats publics, et c'est la première fois que j'aperçois la trace et même le marqueur de revendications spécifiques à la jeunesse. Les événements de « Nuit debout », les grèves de la SNCF, les manifestations contre la réforme du lycée ainsi que le mouvement des « gilets jaunes », ne représentaient pas spécifiquement les jeunes, ni leurs aspirations. Il semblerait qu'aujourd'hui, la jeunesse s'éveille et que nous voyions se dessiner les contours de ce que seront les futurs leaders européens. Et cela laisse croire aussi, que les priorités politiques des années à venir seront radicalement modifiées, remettant en cause le fonctionnement de nos démocraties actuelles.
Protestations et propositions : l’alliance gagnante
Pourtant, malgré l'importance médiatique accordée à ces épisodes hebdomadaires ainsi qu'à leur égérie Greta Thunberg, ceux-ci ne produisent, pour le moment, aucune avancée et leur forme ne peut être satisfaisante. Ces manifestations, aussi nobles et porteuses d'espoir qu'elles peuvent le paraître, resteront stériles tant que les protestations et les indignations formulées ne se transformeront pas en revendications et en propositions. Il est nécessaire de créer un mouvement, porté par cette dynamique, pouvant rassembler toutes les personnes désireuses de contribuer à l'élaboration d'un projet pour un nouveau mode de développement, donnant un autre sens au mot « progrès ». Cela ne pourra se faire sans utiliser les méthodes habituelles dévolues à la diffusion d'idées, c'est à dire sans la réalisation de synthèses et de communiqués, dans lesquels il s'agira non pas de proposer uniquement des mesures gouvernementales, mais de décliner un manuel d'actions citoyennes. Si l'on s'abstient de mettre en œuvre ce processus, cette mobilisation sera vaine et les relais médiatiques obtenus conduiraient à un raisonnement dangereux, qui serait de laisser croire que les populations se sont mobilisées pour le climat et que rien n'a alors pu être modifié. Donc qu'il ne resterait plus rien à faire et plus rien à espérer.
Le temps de la dénonciation, du grand déballage et des sermonnages, semble arriver à son terme et à présent, il faudrait au plus vite entrer dans une phase de prospections. D'ici cinq à dix ans, lorsque les manifestants d'aujourd'hui auront atteint l'âge de vingt ou trente ans, qu'ils seront en mesure de soumettre aux populations un nouveau modèle de société, nous pourrons dès lors entamer une réelle transformation, et non plus des aménagements, qui sont aujourd'hui effectués au travers d'une délimitation floue de la réalité, ne permettant pas de déterminer ce qui relève de l’impossible ou du manque de courage politique.
Si la Maison Europe s’effondre, la Maison Monde s’écroule
Dans ce contexte, la structuration et l'accroissement de l'influence de l'Union Européenne, sont deux mesures dont il faut absolument s'emparer. Cela est criant, mais en admettant un cas extrême, tel que la sortie de la France de l'UE, par sa volonté ou pour cause de dislocation, accompagnée de la rupture consécutive des traités de libre-échange pouvant être considérés comme anti-écologiques par certains, et en imaginant dans un avenir à plus ou moins long-terme, que la France devienne leader en matière de protection de l'environnement, à quoi cela servirait-il, si le reste du monde n'en entend rien ? Par ailleurs, la France n'est de loin pas le seul pays européen, dont la jeunesse a su manifester sa volonté de voir émerger une conscience écologique, inhérente à toute décision d'ordre public. Il serait donc parfaitement illogique de nous voir séparés d'alliés stratégiques, à cause de négligences quant aux défis que représentent toujours la construction européenne. En conséquence, il est erroné de considérer que le climat passe avant « l'Europe », comme nous avons pu l'entendre lors des élections européennes, et de penser que notre attention doit être entièrement consacrée à l'objectif de défense de l'environnement, tout en délaissant l'urgence du renforcement et du développement des instances européennes. Il est justifié de considérer que la planète peut « disparaître » ou du moins la biodiversité sous sa forme actuelle, mais il est impératif de comprendre que l'Union Européenne, dans l'état de fragilité où elle se trouve disparaîtrait, elle, réellement et définitivement, avec nos dernières chances de préserver la Terre. Et cela bien avant que les grands bouleversements climatiques ne surviennent.
L'Europe, si elle propose dans l'avenir une autre définition de la croissance, non plus basée sur le consumérisme, devra alors peser de tout son poids face à des géants dont les intérêts ne correspondront en rien à l'idée d'une nouvelle voie, puisqu'ils sont déjà les leaders du système actuel. Ils n'auront donc aucune raison de se montrer conciliant face aux revendications de notre jeunesse, mis à part la Chine qui, pour une question de survie, tente désormais de réduire la pollution générée par sa production, mais de manière indéniablement trop lente.
Axelle JEHL
Directrice Générale du Think Tank « Europe et Démocratie »