
Florian BRUNNER, aujourd’hui âgé de 29 ans, s’est engagé précocement en politique, dès ses 17 ans. Dans ce laps de temps, il a exploré un vaste champ des différentes formes de l’action politique. Colistier sur une liste de jeunes lors des élections municipales à Colmar de novembre 2008, Président des Jeunes Démocrates d’Alsace (MoDem) de 2011 à 2013, Vice-Président de l’association du député Jean LASSALLE « La Marche Citoyenne » de 2015 à 2017, Collaborateur d’élu à la Région Grand Est de 2016 à 2017 auprès notamment du conseiller régional et désormais député Sylvain WASERMAN (Strasbourg), Florian BRUNNER est actuellement Président du Think Tank « Europe et Démocratie » et dirigeant d’entreprise.
Quelles ont été les réactions de votre entourage lorsque vous leur avez appris votre entrée en politique ?
Florian BRUNNER : Déjà, je viens d’une famille où personne n’avait auparavant un engagement politique. Pour eux, ça a été un peu inattendu. Je nourrissais un grand intérêt pour la politique dès la fin du collège et j’ai décidé de concrétiser cela en début de Terminale, en prenant ma carte au MoDem. Face à cela, mes parents n’ont pas éprouvé une grande inquiétude, celle-ci venait plutôt de ma famille plus éloignée qui entretenait alors une image caricaturale de la politique, avec des combats à morts, perpétuels, où il ne restait qu’un seul survivant. D’ailleurs, le choix du parti politique a été concerté avec mon père, nous étions en accord sur les valeurs.
Cet engagement n’a-t-il pas troublé vos camarades de classe d’alors ? Cela peut paraître surprenant de la part de quelqu’un d’aussi jeune et auquel on prêterait plus aisément d’autres centres d’intérêts.
FB : En réalité, mes camarades n’en ont pas été surpris, puisqu’au cours de nos discussions, je développais déjà des analyses et des opinions qui laissaient transparaître une certaine inclination pour la politique. Il faut savoir que j’ai été colistier lors des premières élections municipales de mars 2008 à Colmar (avant l’annulation et les secondes élections de novembre 2008), alors que j’étais encore lycéen, en Terminale S, dans cette même ville. Donc tout le monde était au courant. Cela ne dérangeait personne, au contraire, cela éveillait la curiosité des élèves et des professeurs, qui venaient échanger avec moi. Ces professeurs n’enseignaient pas forcément des Sciences humaines, j’ai le souvenir de certaines discussions avec mon professeur d’électronique. Je pense que le fait d’avoir dévoilé et assumé mon engagement a participé à libérer la parole dans mon établissement.
De quelles manières votre engagement politique a-t-il été pris en compte lors du reste de votre parcours scolaire ?
FB : Le premier souvenir qui me vient est celui d’un Conseil de classe en Terminale S, j’étais alors également délégué de classe. Je me rappelle du fait que les activités extra-scolaires plus classiques, comme le sport, avaient été fortement mises en valeur par les professeurs lors de l’évocation de certains élèves, tandis que mon engagement politique n’a absolument pas été mentionné. Le lycée français a été conçu sur un système de filières générales S/ES/L désormais finissant, qui a créé une logique de séparation absurde entre la spécialité politique et les disciplines scientifiques. A l’heure où la question environnementale est devenue incontournable, il est indispensable de réconcilier ces deux domaines. A l’Université, je suis resté vigilant, mais le contexte nous dépasse aussi, et forcément un engagement ne reste pas discret lorsqu’on est mentionné dans les médias locaux ou sur les réseaux sociaux. La configuration universitaire est différente de celle du lycée, l’esprit est moins bienveillant et les enseignants ont plus de pouvoir, car les parents ne peuvent plus intervenir et les possibilités de négociations et d’explications sont moindres. Il faut faire attention à ne pas se trouver en contradiction avec l’orientation politique de l’enseignant, car cela peut se ressentir plus facilement dans les notes. De plus, lors de mon passage à l’Université, j’avais réellement l’impression que toutes les activités que les étudiants pouvaient exercer hors du cycle universitaire, n’intéressaient personne et n’étaient pas du tout prises en considération. Néanmoins, je dois marquer une nuance entre cette partie de mon cursus en formation initiale et une période importante de mon parcours, qui a consisté à bénéficier d’une Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), que j’ai réalisé durant l’année scolaire 2016-2017, pour un Master 2 de Science Politique, à Paris. A ce moment-là, l’intérêt était justement de partir de toute mon expérience et de mon parcours politique, professionnel ou bénévole, afin de valider ce diplôme, par la rédaction d’un Mémoire et le passage devant un Jury.
En 2017, un décret incitant les universités à prendre en compte l’engagement étudiant est entré en application. Seulement, dans les faits, il s’agit principalement d’engagements « associatifs » dans lesquels l’engagement politique n’est pas clairement inclus. De plus, dans plusieurs universités, il est nécessaire d’être membre du bureau de l’association pour que l’engagement soit jugé conséquent. Qu’en pensez-vous ?
FB : En effet, de ce que j'ai pu constater, l'engagement politique n'est pas nécessairement comptabilisé. Le cadre très défini et très strict, que l’on observe la plupart du temps et au sein duquel est censé s'inscrire l'engagement, me gêne également. Cela ne reflète pas la réalité de ce type parcours. Lorsqu'un jeune commence ou est depuis peu engagé dans une structure, il n'obtient pas immédiatement un poste ou des responsabilités, ce qui ne signifie pas que ses activités ne l'enrichissent pas et ne sont pas dignes d'intérêt. Il serait également nécessaire d'harmoniser les dispositifs de reconnaissance de l’engagement, pour l’ensemble des universités. Il est important que toutes les formes d'engagements puissent être développées, sans discriminations. Si le jeune n'est pas membre de l'exécutif de sa structure, il peut présenter, démontrer son engagement et en montrer l'intérêt en détaillant les missions et tâches qu'il a accomplies dans ce cadre, et expliquer les compétences et les connaissances qu'elles ont engendrées. Il me semble qu’une Unité d’Enseignement « Engagement étudiant » commune à toutes les Universités, pourrait être instaurée et consister en la rédaction d’un rapport avec passage devant un Jury. Une possibilité qui peut être donnée, dès la première année à l’Université, et aussi dans les IUT. En effet, les jeunes qui se sont engagés durant leurs années de lycée, peuvent déjà se prévaloir généralement d’une expérience significative de 6 à 12 mois. En entrant dans le système universitaire, j’avais déjà un an d’engagement derrière moi, impossible à valoriser à ce moment-là.
Que dire aux personnes qui estiment que les convictions et l'orientation politique relèvent du domaine privé et qu'il ne faudrait donc pas les exprimer ?
FB : Je pense que tout simplement, au cours de discussions et d'échanges que nous avons avec les personnes que nous côtoyons, il est impossible de ne pas évoquer des sujets « privés », sinon il n'y aurait que très peu de thèmes à évoquer et cela n'aurait guère d'intérêt. C'est aussi instructif de confronter ses points de vues, ses idées, car loin du cliché, les discussions politiques, même entre personnes de mouvances distinctes, sont rarement conflictuelles. Je pense qu'à partir du lycée, il est important que les jeunes commencent à développer une certaine conscience civique et qu'ils découvrent la nature des enjeux politiques. La politique demeure un tabou, car il reste un chantier démocratique à réaliser. Il est primordial que tout le monde comprenne très concrètement comment fonctionne la démocratie et saisisse ce qu'est le débat d'idées. S'engager en politique est un acte tout à fait honorable, c'est également en prenant part à l’action politique que l'on acquiert un certain respect de l'engagement et de la diversité des opinions. On apprend à avoir du recul face à cela. Cela ne correspond pas au stéréotype du jeune loup ambitieux qui court après les postes. En réalité assumer ses convictions et entrer en politique se caractérise plutôt par des sacrifices, car il faut y accorder beaucoup de temps et surtout, cet engagement peut perturber l'équilibre de la personne et lui desservir dans d'autres pans de sa vie. Il est important donc que dès le lycée, les jeunes aient une vision claire de ce qu'est la politique. Cela pourrait être pris en charge par les enseignements d'Education Morale et Civique (EMC), sous forme de débats, mais il faut alors que les enseignants soient formés et informés sur les éléments qui entrent en jeu, pour débattre de la réalité, loin des idéologies qui sont principalement des clichés. C'est un cercle vicieux, car en entretenant le spectre de l'idéologie cela va créer de la méfiance et donc éloigner le débat et favoriser les théories hors-sol, qui fondent les doctrines les plus extrêmes. Au final, je dirais qu'il y a deux raisons qui expliquent le manque voire le refus de considération, pour l'engagement politique. D'un côté c'est de l'indifférence, une forme de mépris, et de l'autre c'est une méfiance nourrie face à ce point très sensible que sont les convictions personnelles. Selon moi, il existe dans l'imaginaire de certains, un mythe du militantisme hérité des années soixante-dix, où les bénévoles étaient presque incorporés et suivaient aveuglement leurs « chefs », afin de remporter toutes les échéances électorales, à n’importe quel prix. Actuellement on ne se mobilise plus pour les même raisons qu'il y a quarante ans, les militants sont davantage intéressés par les idées et les projets. Ils sont beaucoup plus critiques vis-à-vis de leurs organisations, ce qui doit rester à l'esprit de ceux qui occupent les postes à responsabilité, dans les partis politiques, afin de ne pas voir les membres claquer la porte. D'ailleurs, la plupart des militants sont très diplômés et ont donc eu un long parcours universitaire, ce qui ouvre aussi le débat sur d’autres enjeux, comme l’intégration des classes populaires et moins diplômées, dans l’engagement politique. Encore une fois, une partie de la réponse est dans l’éducation.