Après le hard power souverain de Donald Trump qui a démontré ses limites, le défi principal de Joe Biden sera de définir une identité claire pour la première puissance mondiale. Le monde est devenu multipolaire, alors que plane toujours le mirage unipolaire qui avait emporté Donald Trump, dans son offensive souverainiste. Le très probable retour des Etats-Unis dans une mécanique multilatérale marque pour l’instant, l’échec du trumpisme à vouloir affirmer les Etats-Unis comme une puissance solitaire et ultra-dominante. Joe Biden devra parvenir à dépasser la bipolarité structurelle de l’organisation politique des Etats-Unis, afin de proposer une nouvelle identité crédible et solide, pour la puissance américaine au XXIème siècle. Le hard power américain entraîne régulièrement les Etats-Unis, dans une volonté de démonstration de puissance, que ce soit sur le plan militaire (George W. Bush) ou économique (Donald Trump). Finalement, au contraire de l’objectif affiché, c’est une forme d’impuissance qui marque l’action des Etats-Unis[1], qui se révèlent déstabilisés par des stratégies de nuisance et une réaction forte de contestation. L’unilatéralisme conservateur est donc une perspective nuisible pour la première puissance mondiale. Il s’agit cependant d’un axe majeur du trumpisme, qui a démontré lors de la dernière présidentielle, une forte capacité de résilience.
Joe Biden devra parvenir à unifier les citoyens américains, sur son action internationale, ce que n’a pas réussi Barack Obama. Si Joe Biden échoue dans ce projet, alors nous constaterons les mêmes divisions et les mêmes incohérences au niveau de l’identité d’une politique étrangère, qui ne cessera de varier fortement en fonction de l’appartenance partisane de l’occupant de la Maison-Blanche. Joe Biden en reviendra certainement au smart power de Barack Obama, en s’adaptant aux nouvelles réalités des Relations Internationales. Ce ne devra pas être le choix d’un homme seul, mais une orientation capable d’entraîner les américains. La défense de la planète est un enjeu fondamental qui pourra redynamiser le multilatéralisme. L’engagement écologique des Etats-Unis devra s’affirmer, sans ambiguïté. La première puissance mondiale est attendue sur ce point et devra démontrer qu’elle est capable de dépasser ses tentations souverainistes, afin d’intégrer et promouvoir des objectifs qui concernent l’avenir de l’Humanité. Un leadership américain et européen, sur l’enjeu écologique, serait envisageable dans une telle perspective.
La complexité d’une telle entreprise doit inviter les européens à la prudence. Une personnalité politique à elle-seule ne peut entamer une mutation majeure de son pays, excepté lors d’un état de grâce remarquable, ce qui est de moins en moins le cas, dans les démocrates occidentales. Joe Biden devra composer avec le trumpisme et il n’abandonnera pas certains aspects du hard power. L’Union européenne, dans ce contexte, ne devra pas se focaliser sur la politique étrangère américaine et pourra continuer à développer sa propre identité de puissance. L’influence de l’Union européenne dans le multilatéralisme et dans la production de la norme, est une réalité. Mais l’absence d’un hard power européen reste un élément qui trouble l’action internationale de l’Union et qui fragilise la défense de ses intérêts. Depuis la chute de l’URSS et la fin de la guerre froide, l’Europe n’est plus un centre géopolitique et devient de plus en plus, pour la réalité des Relations Internationales, un espace périphérique. Seule l’autorité politique que pourra acquérir l’Union, lui permettra de peser dans l’évolution du monde.
Florian BRUNNER
Président du Think Tank Europe et Démocratie
[1] Badie Bertrand, L'impuissance de la puissance, Cnrs Biblis, 2013