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Autonomie Stratégique européenne : l’OTAN n’est pas éternelle

Durant l’élection présidentielle américaine, la Ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer avait publié une tribune, le 2 novembre 2020, intitulée Europe still needs America, L'Europe a encore besoin de l'Amérique[1], où elle affirmait assez âprement, que « les illusions d'autonomie stratégique européenne doivent cesser : les Européens ne pourront pas remplacer le rôle crucial de l'Amérique en tant que fournisseur de sécurité ». La Tribune en elle-même n’avait pas beaucoup de consistance et n’apportait pas d’élément de réflexion utile au débat. Alors que le très européen et visionnaire, Valéry Giscard d'Estaing, disparaissait le 2 décembre 2020, le contraste était saisissant entre une incapacité à concevoir un réel avenir stratégique pour l’Europe, manifestée par la Ministre allemande de la Défense, et la haute exigence intellectuelle des travaux de Valéry Giscard d’Estaing qui n’avait cessé de se montrer créatif et innovant, au service d’une vision européenne élaborée et solide.

L’autonomie stratégique n’est pas uniquement une proposition française, comme la posture d’Annegret Kramp-Karrenbauer voudrait nous le faire croire. En réalité, la ministre allemande, par sa prise de position, invite les responsables politiques européens à écarter définitivement tout le travail doctrinal, réalisé par la Haute Représentation de l’Union pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité. En effet, en Avant-propos de la Stratégie Globale de l’Union[2], la Haute Représentante Federica Mogherini, annonçait d’emblée en 2016 : « La Stratégie nourrit l'ambition de doter l'Union européenne d'une autonomie stratégique ». Comme le nouveau Haut Représentant, Josep Borrell l’a rappelé dans un éditorial de l’IFRI[3], le concept d’autonomie stratégique avait déjà été utilisé par les dirigeants de l’Union dès 2013 et sera continuellement développé et affiné, jusqu’à aujourd’hui. Soyons clair : il était tout aussi vain qu’irresponsable de remettre en cause un concept largement accepté, faisant partie de l’ADN de la politique étrangère de l’Union.

Nous n’allons pas encore passer des années à rappeler, ce qui a été continuellement affirmé : l’Union ne va pas chasser l’OTAN, mais devra se doter d’une véritable capacité militaire et sécuritaire complémentaire. Est-il nécessaire de chercher à créer des malentendus, afin de nourrir une controverse purement politicienne ? Surement pas. Les Etats-Unis sont engagés dans un processus de mutation de leur puissance, ce qui porte atteinte à la résilience de leur politique étrangère et de leur vision du monde. Où est l’intérêt des Etats-Unis ? Constater leur rétrogradation dans la course à la puissance, pendant que leur allié européen se maintient dans un statu quo stratégique, armé d’un hard power dérisoire ? Ou bien lancer une alliance nouvelle, davantage équilibrée qu’au XXème siècle, avec une Union plus déterminée, dotée d’un hard power solide, capable de contribuer à la consolidation d’une influence occidentale ? Le sens stratégique le plus élémentaire, nous conduit vers cette seconde option.

Enfin, il est assez sidérant de constater à quel point, certains leaders aiment croire à l’éternité de cadres confortables établis au XXème siècle, même dans la crise considérable que nous traversons aujourd’hui. A écouter des dirigeants comme Annegret Kramp-Karrenbauer, il est certain que la protection de l’OTAN sera éternelle, que sa force est telle que jamais l’Europe ne pourra s’en libérer. L’OTAN est là et pour toujours, est-on sensé comprendre. Malheur à ceux qui oseraient réfuter ce doux rêve. Or dans les Relations Internationales, différents mouvements cycliques s’opèrent et bouleversent les constructions diplomatiques, ainsi que les alliances établies. Certes en cette fin d’année 2020, l’OTAN reste une structure forte, même si elle est affaiblie. Mais qu’est-ce qui nous empêche de supposer que cette alliance pourrait s’envoler, dans les prochaines années ? Dans 10 ans, 20 ans, 30 ans ? Rien. Si en 1940, nous aurions dit aux Européens à quoi l’Europe aurait ressemblé en 1950, personne ne nous aurait cru. Si en 2010, nous avions dit aux Européens à quoi l’Europe aurait ressemblé en 2020, nous n’aurions pas eu plus de succès. En effet, en 2010, Barack Obama entamait son premier mandat à la tête des Etats-Unis, le Royaume-Uni était un pays membre établi de l’Union européenne et la situation sanitaire mondiale semblait être stabilisée. Quel contraste avec 2020 : la présidence finissante de Donald Trump, l’unilatéralisme impérial des Etats-Unis, la sortie du Royaume-Uni de l’Union (Brexit) et la crise sanitaire considérable qui frappe le monde. Evitons donc de nous complaire dans des certitudes dangereuses. Oui l’OTAN peut disparaître et le devoir des dirigeants européens est de se préparer à cette hypothèse. L’autonomie stratégique, comme approche globale, permettra d’y travailler. Il n’y a pas de pire scénario qu’un effondrement définitif de l’OTAN, laissant une Europe militairement faible, face à ses différents rivaux.

La victoire de Joe Biden à la présidentielle américaine, permettra de construire un processus d’alliance plus serein, entre les Etats-Unis et l’Union européenne. Ce qui n’exclut pas de se préparer à tous les scénarios possibles, car comme le disait Sun Tzu : « Un prince avisé et un brillant capitaine sortent toujours victorieux de leurs campagnes et se couvrent d’une gloire qui éclipse leurs rivaux grâce à leur capacité de prévision »[4]. Il n’est donc pas indispensable d’imiter Donald Trump et sa prévision au jour le jour, qui le conduisit à un échec fatal. Cessons de nous complaire dans des croyances installées, analysons les réalités du XXIème siècle et adoptons les mesures indispensables à la protection des générations futures.

Florian BRUNNER

 

[1] Europe still needs America, 2 novembre 2020 : https://www.politico.eu/article/europe-still-needs-america/

[2] Shared Vision, Common Action: A Stronger Europe, A Global Strategy for the European Union’s Foreign and Security Policy, June 2016, Foreword by Federica Mogherini, p.04.

https://eeas.europa.eu/archives/docs/top_stories/pdf/eugs_review_web.pdf

[3] Borrell Josep, « Pourquoi l'Europe doit-elle être stratégiquement autonome ? », Editoriaux de l'Ifri, décembre 2020 : https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/leurope-etre-strategiquement-autonome

[4] Sun Tzu, L’Art de la Guerre, Chapitre XIII

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